Mamoudou Ibra Kane : La Démocratie des Temps Modernes.

Adramé
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L’Amérique ne choisit pas par hasard. Objectifs ou subjectifs, ou les deux à la fois, ses choix se justifient toujours par sa propre vision du monde et la défense de ses intérêts. En tous lieux et en toutes circonstances. Pas de place à l’improvisation diplomatique. Elle n’est pas la première puissance économique et militaire de la planète pour rien. Et Tony Blinken de son nickname (surnom) n’est pas un inconnu au bataillon diplomatique pour avoir occupé la fonction de Secrétaire d’Etat adjoint de 2015 à 2017, durant la présidence de Barack Obama. C’est cet homme expérimenté qui épaule aujourd’hui – diplomatiquement parlant – Joe Biden, lui-même vice-président d’Obama avant de devenir Président des Etats-Unis. C’est à ces différents niveaux qu’il faut lire et comprendre le choix du Sénégal parmi les pays africains que visite cette semaine le Secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken.

Que le Sénégal soit retenu comme seul pays francophone du continent et d’Afrique de l’Ouest pour figurer en bonne place dans l’agenda du chef de la diplomatie américaine, tient à une raison très simple. Le pays de la Teranga est considéré par Washington comme un exemple de stabilité démocratique. Pour autant, l’Administration Biden n’est pas sourde aux alertes émanant le plus souvent des opposants, de la société civile et des médias. Ainsi, de Nairobi, la capitale kényane qui constitue la première étape de son périple, Antony Blinken a, d’entrée de jeu, annoncé la couleur et la tonalité de la diplomatie américaine de l’immédiat après-Donald Trump. Son invite aux Africains à être « vigilants face aux menaces croissantes contre la démocratie », en dit long. Aucune démocratie n’est parfaite. Et le Secrétaire d’Etat américain n’hésite pas à enfiler le costume de « lanceur d’alerte » tout en se gardant bien cependant, de s’ériger en donneur de leçons. N’est-ce pas lui-même qui reconnaît que « les États-Unis ne sont guère à l’abri de ce défi ». Avant d’avouer, selon ses propres mots, « à quel point » la démocratie américaine elle-même peut être fragile. Allusion à peine voilée au feuilleton Trump lors de la dernière course à la Maison blanche avec comme image d’Épinal qui a fait le tour du monde : l’assaut contre le Capitole des partisans de l’iconoclaste président Trump, donneur d’ordre qui refusait de reconnaître sa défaite.

Les défis et les maux de la démocratie des temps modernes, ont un visage et ils sont identifiés comme tels par les Etats-Unis : désinformation, violence politique, intimidation et corruption d’électeurs. Les « mauvais joueurs », pour reprendre l’expression de Blinken, se recrutent, détrompons-nous, aussi bien dans le pouvoir que dans l’opposition. Toutefois la responsabilité du gouvernant et celle de l’opposant ne sauraient être d’égale valeur même s’il reste entendu que l’opposant d’aujourd’hui peut être le gouvernant de demain. Dans une bonne partie de notre continent, exercer le pouvoir rime encore et toujours avec tripatouillage des constitutions, mise à mal des institutions, corruption et violation des droits et libertés. Et quand Antony Blinken demande des « idées » auprès des dirigeants de la société civile kényane sur la manière d’empêcher justement les « mauvais joueurs » de « mettre à l’épreuve les institutions démocratiques », il faut bien décortiquer le message… Dakar, qui accueille le Secrétaire d’Etat américain ces vendredi et samedi pourrait être épinglé pour « mauvais jeu démocratique » avec l’arrestation du bouillant opposant Barthélémy Dias. Fut-elle éphémère, l’interpellation du candidat à la mairie de Dakar de la coalition Yewwi Askan Wi n’en est pas moins maladroite. Jugeons Dias fils de manière juste et équitable. Disons-le sans ambages : sa décision de ne plus répondre à la convocation de la justice dans l’affaire Ndiaga Diouf, s’il persiste dans l’erreur, est un acte antirépublicain. Son arrestation, le 17 novembre, laisse également perplexe plus d’un démocrate tant l’argument servi par l’autorité administrative est spécieux. S’il faut appeler le chat par le chat, il s’agit bien d’une violation flagrante de la liberté d’aller et de venir du citoyen et candidat Barthélémy Dias. Une démocratie jugée exemplaire, malgré les chahuts d’opposants, n’a pas besoin de ça !

 

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